« Lors d'une séance de projection du film de David Lynch « Mulholland Drive », une séquence m'a particulièrement bouleversée. Celle-ci se déroule dans un cabaret. Une artiste interprète une chanson nommée « LLorando» avant de s’écrouler et de laisser place à un vide tandis que sa voix continue de vibrer. A travers cette scène, je découvrais une image cinématographique au récit puissant par le minimalisme des interventions.
Seuls le son de la voix qui s'éloigne, l'expression muette des personnages, les images très denses transcrivent avec pudeur le ressenti des acteurs. C'est cette sobriété́ qui donne toute sa puissance à l'image filmique et permet ainsi l'identification, l'appropriation de l'émotion qui nous est donné de ressentir à ce moment précis.
LLorando est une plainte. Un adieu à celui qui est parti. Un hymne à la solitude et au temps qui passe doucement, douloureusement. Le regard se perd. Il fuit pour se plonger dans un réconfort intérieur, intime et impénétrable. C'est une évasion, un exil vers notre ailleurs, un repli dans lequel le temps s'étire et où chacun peut s'imaginer son histoire.
De ballade nocturne en promenade nostalgique, l'œil passe sur notre environnement. Ivre de ces lignes qui le construisent, la lumière pointe des détails qui mettent en joie l'absent, l'invisible. Cette série fonctionne comme des notes de ponctuations où la syntaxe est anodine. Libérées des codes, les images fonctionnent seules. Elles ont leur propre écriture et récit. Ensemble, elles se conjuguent, se complètent et affirment leur engagement envers une émotion intemporelle. Nous entrons dans un monde de paradoxe où les noirs sont réconfortants mais où la peur de ce qui est et ne sera plus vient nous submerger.
Le passé et le présent se confrontent. La densité́ des contrastes accentue ce stratagème. L'émotion devient présente, réelle, palpable et subtile. »
Julie Franchet
Julie a été lauréate de la Foire internationale de photographique à Bièvres et Grand Prix du festival « Les Femmes s’exposent à Houlgate » en 2019