Bonjour Alice,
Nous voici au terme de nos rencontres et nous allons profiter une dernière fois de vos lumières pour mieux comprendre le marché de l'art actuel.
Certains de nos artistes, à la ligne poétique et sensuelle, ont du succès auprès des amateurs mais ne sont pas dans le courant actuel plus conceptuel et détaché de la notion du beau.
Pouvez nous parler d’exemples de parcours similaires dans l’époque que vous avez étudiée et quels conseils nous donneriez-vous ?
La plupart des grands marchands qui ont marqué l’histoire (dans certains cas, on pourrait dire l’histoire de l’art) ont parié sur des artistes qui étaient contre tendance. Paul Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes, a risqué faire faillite à plusieurs reprises pour garantir un soutien économique à Monet, Renoir, Pissarro et les autres, qui n’arrivaient pas à trouver l’approbation de la critique et du public.
Quand Georges Braque propose ses premiers tableaux cubistes au Salon d’ Automne en 1908, Henry Matisse (membre du jury) les refusera. A ce moment-là, Daniel- Henri Kahnweiler, qui regroupera autour de lui tout le groupe cubiste, organisa avec les mêmes tableaux la première exposition personnelle de Braque dans sa galerie.
Inutile de dire si ces efforts ont été payés ou pas !
Il est certes compliqué de défendre des artistes dont l’œuvre ne vante pas du consensus des tendances ou de la critique d’art. Mais c’est cette cohérence, cet attachement aux artistes dans lesquels on croit qui distingue, à mon avis, un galeriste d’un marchand d’art.
Si vous vous reconnaissez dans le rôle de galeriste (et je pense que c’est le cas !), vous avez raison de continuer dans votre sens, en vous souciant de vos artistes et de vos clients avant toute chose !
Alice Ensabella est docteur en histoire de l’art contemporain, spécialiste du marché de l’art français de l’entre-deux-guerres qui avait un de ces centres propulseur à Saint-Germain-des-Prés.