Coronavirus : les petites galeries d’art en mode survie

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Coronavirus : les petites galeries d’art en mode survie

Par  Publié le 19 avril 2020 à 08h00

Faute de trésorerie, ces jeunes structures sont particulièrement fragilisées. Après la crise financière de 2008, plus de 30 % avaient disparu.

Par  Publié le 19 avril 2020 à 08h00, mis à jour à 09h39

Le 13 mars, dès qu’il apprend que les Etats-Unis vont fermer leurs frontières aux ressortissants européens pour endiguer la propagation du Covid-19, le jeune galeriste parisien Jérôme Poggi réunit illico son équipe. En mai, il devait participer à la Frieze Art Fair à New York, une foire importante pour son standing et ses affaires. « Il fallait faire au plus vite, finaliser les ventes en cours, alléger au maximum les charges et notamment reporter les appels de charges sociales et d’impôts directs puisque le gouvernement le proposait déjà », confie-t-il. M. Poggi ne se doutait pas encore qu’il devrait, le lendemain, mettre toute son équipe au chômage partiel. Il administre, désormais, seul les affaires de la galerie, redoutant une chute de 50 % de son chiffre d’affaires en 2020.

Son confrère Eric Mouchet, qui a mis au chômage partiel ses trois employés tout en veillant à combler de sa poche la différence, se rend un jour sur deux dans son local pour écluser la paperasse en retard. « Mais une galerie où travaillent quatre personnes en permanence, c’est normalement des échanges d’idées qui fusent, une énergie et évidemment des visiteurs, et toute la technologie dont nous disposons ne remplacera pas cela », soupire-t-il. Avant le confinement, il comptait sur un chiffre d’affaires de 70 000 euros en mars, sur la base de son activité en 2019. « Or, je n’ai émis aucune facture. Je n’avais aucune vente prévue à l’avance et n’en ai réalisé aucune durant le mois », précise-t-il. Il a, en revanche, déjà investi dans le catalogue de l’exposition prochaine du photographe Bertrand Hugues, consentant une avance de 1 000 euros au graphiste. « Mais je n’ai pas l’argent pour payer le reste, ni l’imprimeur », regrette M. Mouchet.

« Six à douze mois pour repartir »

Faute de trésorerie, ces jeunes galeries sont plus fragilisées que d’autres. Le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), dont la moitié des membres affichent moins de 500 000 euros de chiffre d’affaires, évalue à plus de 184 millions d’euros pour l’ensemble des galeries de février à juin le cumul du manque à gagner et des pertes réelles. « La reprise va être lente. A chaque fois que le marché s’écroule, il faut au moins six à douze mois pour repartir », observe la galeriste Marion Papillon, présidente du CPGA. Et de rappeler qu’après la crise de 1990, 46 % des galeries ont fermé, tandis que plus de 30 % ont disparu après celle de 2008.

Pour le collectionneur Romain Leclere, très actif auprès des jeunes galeries, la crise permettra de mesurer le degré « de sérieux, d’implication et de militantisme » des amateurs d’art. « En amour comme en amitié, il n’y a que les preuves, et la première chose que je compte bien faire, c’est de finir d’honorer mes achats et les échéances en cours auprès des jeunes galeries parisiennes », ajoute-t-il. Il admet, toutefois, que l’art est « un achat somptuaire qui, traditionnellement, fait les frais d’un ralentissement économique ».

Impossible aujourd’hui de solliciter les collectionneurs sans paraître pressant ou indélicat. Miser sur les foires à venir ? « J’ai aujourd’hui du mal à imaginer qu’elles puissent dans quelques mois drainer une population locale, voire internationale », observe Vincent Sator, qui participe à Drawing Now, Art Paris Art Fair et Art Brussels, reportées à 2021. Et le galeriste d’ajouter : « Je doute que les gens soient disposés à voyager, en admettant que les frontières soient rouvertes, à se rendre dans des grands événements ultra-fréquentés et soient psychologiquement motivés pour acheter. »

Fracture numérique

La crise révèle aussi la fracture numérique entre les grosses enseignes, disposant de « viewing-rooms » sophistiquées en ligne, et les plus petites qui doivent se débrouiller avec les moyens du bord. Le giga-galeriste new-yorkais David Zwirner dispose, par exemple, de 12 personnes à plein temps uniquement pour développer les ventes en ligne. « Notre galerie n’a pas les reins assez solides pour se payer des développeurs informatiques et autre community manager », admet Delphine Guillaud, cofondatrice de Backslash, qui poste des vidéos sur le compte Instagram de la galerie. Vincent Sator envoie aussi quotidiennement sur les réseaux sociaux des vidéos d’une minute décryptant à chaque fois une œuvre.

D’autres n’ont pas encore pris le pli du digital. « Nous croyons toujours que l’art se vit d’expériences physiques, de conversations, de questionnements, mais peut-être est-il temps de changer », avance le jeune Antoine Levi, qui devait ouvrir, le 21 mars, son nouvel espace rue de Turbigo, dans le 3arrondissement de Paris.

Pour rester à flot, ces structures ont actionné la palette des aides, notamment le prêt garanti par l’Etat et le report des cotisations fiscales et sociales. Mais elles ne rentrent pas toutes dans les cases. Ainsi, Backslash ne peut recevoir les 1 500 euros donnés aux petites entreprises, car sa baisse d’activité n’atteint pas le seuil de 50 % par rapport à mars 2019. De son côté, Antoine Levi ne peut prétendre au fonds spécial de 600 000 euros mis en place par le Centre national des arts plastiques en faveur des artistes français, parce que, pour l’heure, il n’en a pas dans son écurie.

Pour compléter les dispositifs existants, le CPGA milite pour la création d’un fonds de soutien aux galeries, abondé par le public et le privé. Malgré l’angoisse du lendemain, la plupart des jeunes galeries refusent de baisser les bras. « Si nous avions écouté les pessimistes, nous n’aurions jamais ouvert la galerie en 2016. Or, elle fonctionne, insiste Charlotte Trivini, codirectrice de la galerie PACT. De la même manière, il faut réfléchir face à cette crise de façon constructive plutôt que de se fermer, bloquer nos dépenses et se faire tout petit. »




Article publié le Lundi 20 Avril 2020 par Nathalie ATLAN LANDABURU
Thèmes : crise Coronavirus | Galerie d'art

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